Y a-t-il un sens dans le fait d’être juif (et autres réflexions sur la nature des hommes et de D.) ?

 

Bonjour Rav Chaya,
Je vous lis depuis plusieurs semaines.
J’apprécie votre honnêteté et la précision que vous apportez à vos réponses.

Avant de vous poser ma question, j’aimerais d’abord me présenter.
Je suis un homme d’une vingtaine d’années ayant été élevé dans le judaïsme ; mes deux parents ainsi que toute ma famille respectent plus ou moins certaines lois du judaïsme sans véritablement se poser de questions.
Il y a dans mon entourage d’horribles escrocs prétentieux qui se rassurent en pratiquant plus Chabbat que les autres et en mangeant strictement cachère.
Pour eux, et pour beaucoup de juifs que je connais, le fait d’être juif se résume à des pratiques comme manger cachère tout en oubliant toute la philosophie qui sous-tend le judaïsme.

Bien qu’ayant passé une partie de ma scolarité dans une école Loubavitch, je me suis toujours posé quatre questions existentielles :

  1. Qu’est-ce qui distingue l’humain de l’animal ?
    (plus précisément, une vie humaine à une vie animale)
  2. Y a-t-il un lien entre la science, la religion, la tradition et la philosophie ?
    (et si oui lequel)
  3. Qu’est-ce que D-ieu ?
  4. Y a-t-il un sens dans le fait d’être juif ?
    (et si oui, qu’est-ce qu’être juif)

Je vais répondre aux trois premières questions et je vous laisserai répondre à la quatrième si vous le voulez bien.
Mes trois premières réponses ne font aucunement appel à la religion juive (que je commence à étudier sérieusement) ; pour y répondre je me suis basé sur tous les ouvrages que j’ai lu depuis des années.
J’aimerais que vous me donniez un avis sincère sur mes réponses.
Je vais être très concis, ça ne sera pas long.

  1. Qu’est-ce qui distingue l’humain de l’animal ?
    Voilà ce que disent plus ou moins les plus éminents éthologues à ce sujet. Charles Darwin, dans sa titanesque œuvre  » La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe » explique entre autre que toutes les caractéristiques que l’on considère comme spécifiquement humaines ne le sont pas.
    Pour ce faire, il expose en détail le comportement des insectes, des poissons, des oiseaux, des mammifères et de l’humain.
    Ainsi pouvons-nous apercevoir des animaux jaloux, qui se font beaux pour séduire la femelle, qui chantent avec justesse, qui rêvent, qui se marient, qui aiment, qui se sacrifient, qui aiment le parfum et surtout qui respectent des traditions à la lettre etc…
    Darwin explique à la fin de son oeuvre que l’humain est le seul être à avoir pu développer toutes les capacités qui existaient déjà dans le règne animal jusqu’à leur paroxysme.
    L’idée principale de son œuvre est qu’il n’y aurait pas de différence de nature entre les humains et les animaux mais simplement, une immense différence de degré.
    Une immense différence de degré qui serait comparable selon lui entre les fourmis et les gloriosus.
    Darwin explique enfin, que tous les animaux y compris l’humain ont évolué selon un certain schéma évolutif :
    La sélection naturelle (la survie des plus forts) et la sélection sexuelle (la reproduction des mâles les plus beaux, cela est très marqué chez les oiseaux et….. les humains ! ).
    L’humain ne descendrait pas du singe ; non, pour Darwin, l’humain est un singe comme le sont les bonobos, les chimpanzés, et orang-outan.Je n’ai parlé que de Darwin, mais je pourrais parler d’autres éthologues, mais ils reprennent tous, croyez moi, ce que dit Darwin.

    Ce que j’apprécie dans le raisonnement de Darwin, c’est qu’il ôte l’ego des humains.
    L’ego est un sentiment destructeur, et Darwin ruine cet égo qu’ont les humains en leur affirmant qu’ils n’ont finalement rien de spécial, qu’ils sont des animaux lambda.
    Et j’apprécie cette philosophie car elle concorde avec les autres découvertes scientifiques (la Terre n’est pas au centre de l’univers).

    J’ai l’impression que ce qui gêne les personnes pratiquantes n’est autre que leur ego ; or il n’y a là qu’un problème de sémantique.
    Le fait d’être un singe-humain n’enlève rien à ma conscience, ma bonté, le fait que je sois juif ou non etc…
    C’est un problème de mot rien de plus.

  2. Y a t-il un lien entre la science, la religion, la tradition et la philosophie (et si oui lequel) ?Le grand physicien Erwin Schrödinger commence son œuvre « L’Esprit et la Matière » en affirmant qu’il ressent constamment un immense étonnement en observant les choses qui l’entourent.
    Le simple fait qu’il ait conscience qu’il existe l’étonne terriblement, et cela est particulièrement mon cas car je ressens comme un miracle se produire continuellement au sein de mon être.
    La majorité des gens vivent en attendant un miracle alors que le simple fait d’être conscient est selon moi un immense miracle.
    Un miracle qui permet à la philosophie d’exister.Pourquoi ?
    La philosophie a pour vocation d’expliquer ce qui est.
    Le pourquoi et le comment des choses etc…, mais pour faire cela, force est de constater qu’il faille sortir du système.

    Je m’explique.
    Pourquoi un ordinateur ne se demande pas pourquoi il existe, et comment résoudre le problème qui l’empêche de fonctionner ?
    Tout simplement parce qu’il n’a pas la possibilité de sortir de son propre système, de s’extérioriser des lois qui le gouvernent afin de les analyser dans le but de régler ce qui lui pose problème et d’avoir une vue sur sa propre existence.

    Je vous conseille de lire le livre Godel, Escher, Bach de Douglas Hofstadter si le sujet vous intéresse.
    L’être humain, contrairement à l’animal a cette capacité à s’extraire des lois de la sélection naturelle dans le but de créer son propre système.
    En d’autres termes, il a la capacité de s’affranchir des lois de la nature pour créer sa propre nature car, encore une fois, il a cette capacité de sortir du système.

    La Torah veille selon moi à ce que l’humain ne retombe plus jamais sous les lois de la sélection naturelle ; c’est pourquoi elle ordonne, je pense, une multitude de règles qui semblent a priori absurdes.
    La religion sacralise le fait que l’humain soit le seul être vivant à s’être émancipé des lois de la nature car cela peut-être considéré comme un miracle.

    Comment pouvons-nous sortir du système, nous détacher des lois de sélection naturelle qui nous ont donné naissance ?
    Comment sommes-nous en mesure d’être conscient de nous-même ?
    Les chercheurs en intelligence artificielle réfléchissent à cela.
    Ils souhaitent créer des êtres autonomes dotés d’une certaine conscience.
    Pensez-vous que cela est possible ?

  3. Qu’est-ce que D-ieu ?
    Il y a différents niveaux de réponses, et chaque niveau est indépendant des autres niveaux.
    Je m’explique.
    Si je vous demande qui vous êtes, vous me répondez :
    – Je suis le Rav Chaya, une personne gentille blablabla….
    – Mais vous pourriez me répondre que vous constituez la somme de milliards de milliards de milliards d’atomes !
    – Ou encore je suis un être vivant constitué de deux bras, deux jambes, une tête etc…Chacune de ses réponses est vrai mais elles correspondent toutes à des niveaux de réponses différents.
    De plus, elles ne sont pas dépendantes l’une de l’autre (sinon, un psychologue serait obligé de suivre des cours de biologie moléculaire ! ).
    Désormais, je réponds à la question posée :

    Premier niveau :
    Je pense que le premier niveau de compréhension de D-ieu serait de dire qu’Il constitue la Nature.
    Toute la nature, serait D-ieu.
    Pourquoi ?
    Si je peins un tableau, ce-dernier sera imprégné de mon style, de ma personne, de moi.
    Si D-ieu a créé l’Univers alors celui-ci est imprégné de Lui.
    Puisque D.ieu est infini (parce qu’Il est abstrait en soi), Sn impression dans l’Univers est infini.
    Ainsi, on devrait, je pense, traiter la nature comme on traiterait D-ieu si on le voyait devant nous.

    D-ieu est donc partout.
    (j’ouvre une parenthèse qui n’a rien à voir :
    Je ne pense pas que l’on puisse manger des œufs de poules élevées en batterie.
    Si l’on ne doit pas faire souffrir un animal en le tuant, nous ne devons pas, a fortiori, lui faire vivre le martyr tout au long de son existence.
    Je ne mange donc plus de viande car non-cachère selon moi)

    Deuxième niveau :
    D-ieu serait la conscience humaine.
    Pourquoi ?
    Parce que la conscience est cette substance créatrice qui fait entrer l’humain dans un nouveau système, dans un monde parallèle.
    Nous n’attendons plus que la nature nous octroie telle ou telle capacité physique pour faire quelque chose.
    Non, nous créons des outils qui nous permettent de produire tout ce dont nous avons besoin.
    Plus l’humain évolue, plus il se détache de la Nature.
    Plus il se détache de la Nature, plus son monde devient de plus en plus fini, de plus en plus cohérent.

    Cette conscience n’existe pas matériellement.
    Il n’existe pas d’aire de la conscience dans le cerveau ; la conscience est ce souffle créateur qui permet la création d’un nouveau monde.
    Il peut bien sûr (et je le pense pour des raisons que je ne peux exposer ici) s’agir du même souffle que celui qui a créé l’Univers, mais tant que l’humain ne se sera pas totalement détaché de son ancien monde au profit de son nouveau monde, il sera toujours gouverné par deux lois contradictoires :
    Celle des lois de sélections naturelles et sexuelles darwiniennes propres au monde naturel et les lois humaines propres au monde humain.
    Mais cela est caricatural car chaque peuple, chaque communauté a sa propre vision du monde.
    La Torah permet au peuple juif la création de son monde.
    Peut-être le seul et vrai véritable ?

    Troisième niveau :
    Ce niveau est complexe, difficilement exprimable en peu de mots.

    Je pense qu’il n’y a aucune différence entre la chose créée et son créateur, que le créateur est lui-même le créé et vis-et-versa et que l’évolution serait une confusion sans fin entre le créé et le créateur.
    L’évolution serait une boucle étrange, sans fin.
    D-ieu serait à la fois la boucle, et le substrat qui lui permet d’exister.

Je souhaite avoir votre avis sur l’œuvre Godel Escher Bach, Les brins d’une guirlande éternelle.

Merci de votre patience.
J’espère que vous trouverez un moment pour me répondre.
(Commenter mes réponses, et répondre à la quatrième question).

Cordialement,

Réponse du Rav Ron Chaya : 

Chalom Jérémie,

Voici les réponses à tes questions :

  1. La différence entre un être humain et un animal est ce que la Torah appelle la néchama, c’est-à-dire une réalité spirituelle nous octroyant une sensibilité à la vérité et au sens de la vie.
    Tous les êtres humains possèdent cela, contrairement à tous les animaux.

    • Il n’existe pas un être humain qui ne s’est jamais demandé au moins une fois dans sa vie pourquoi il vivait.
      Chez certains, cette question est primordiale (voir le mythe de Sisyphe d’Albert Camus).
      Les juifs ont d’ailleurs une néchama très puissante, donc pour eux, cette recherche de sens est en quelque sorte plus facile.
      Cela s’appelle la sensibilité à la vérité.Il est clair que cette notion ne peut pas exister pour les animaux.
  2. Je ne pense pas qu’il soit possible de créer des êtres humains autonomes dotés de la conscience dont j’ai parlé dans le point 1), car comme je l’ai dit, la conscience qui fait en sorte qu’on se pose des questions existentielles est une réalité spirituelle….
    Or, les scientifiques n’ont pas les outils pour agir dans le domaine du spirituel.Seule la Torah peut nous donner la connaissance et les outils nous permettant de créer un lien avec notre réalité spirituelle ; c’est précisément le sens des mitsvot, qui ne sont absolument pas des lois régissant la gestion du corps mais bien le fonctionnement de l’âme ainsi que l’interaction avec la divinité, source de notre spiritualité.
  3. Il est évident que D.ieu gère la nature, d’ailleurs, le Nom Élohim, l’un des Noms de D.ieu c’est-à-dire l’une de Ses manifestations, a une valeur numérique égale à celle du mot « hatéva » en hébreu qui signifie la nature.
    Il s’agit donc de la manifestation d’Hachem en tant que Gestionnaire de la nature.Comme je l’ai expliqué dans les réponses précédentes, il est clair qu’Il est le Créateur de notre néchama, c’est-à-dire de notre réalité spirituelle nous donnant une conscience sensible à la vérité, mais Il est bien plus que cela :Nous ignorons quelle est la véritable nature de D.ieu car Il est beaucoup trop haut pour nous ; après tout, nous ne sommes que des êtres finis et Lui, béni Soit-Il, est infini…
    Par conséquent, il nous est impossible de Le saisir et de Le définir.

    C’est la raison pour laquelle toutes les définitions que nous avons à Son propos sont négatives :

    • Il n’a pas de fin,
    • Il n’a pas de corps
    • Nous savons qu’Il est Tout-Puissant,
    • qu’Il est Un,
    • qu’Il est Créateur et Gestionnaire de la réalité jusque dans ses moindres détails.
    • Etc. Nous ne pouvons pas connaître Sa nature intrinsèque car nous sommes des créatures tandis qu’Il est Créateur.
      Dans Sa grande bonté, Il a voulu néanmoins que nous Le connaissions un peu par Sa Torah, qui est la partie de Sa pensée qu’il a voulu nous révéler, ainsi que par les mitsvot et la prière qui sont les moyens d’entrer en contact avec Lui.

      De même qu’avec une femme, nous avons une relation physique, sentimentale et rationnelle, il en va de même avec D.ieu :

      • La relation physique s’effectue par l’application des mitsvot ;
      • La relation sentimentale par la prière,
        • l’amour
        • et la crainte d’Hachem ;
      • Et la relation rationnelle par l’étude de Sa pensée qui est la Torah.
    • En agissant ainsi, nous nous unissons avec Lui et avons droit à l’éternité, comme cela est écrit dans la Guémara (traité Baba Batra page 75b) :
      • « A la fin des temps, les Tsadikim seront appelés au Nom de D.ieu ».
        • Cela signifie que par la connaissance d’Hachem et l’application des mitsvotnous nous unissons avec Lui pour ne faire plus qu’un (sans pour autant être annulé).
          Dès lors, nous avons droit à l’infini.
  4. À l’origine, Hachem voulait que l’humanité toute entière réalise la mission qu’il a donnée aujourd’hui au peuple juif, être les tenants de la vérité, c’est-à-dire Le connaître et s’unir à Lui.Cependant, l’humanité est allée d’échec en échec:
    Le péché originel, Caïn et Hevel, le déluge, la Tour de Bavel et Sodome et Gomorrhe.
    Puis sont arrivés les Patriarches : Avraham, Its’hak et Yaakov, qui ont mené à bien cette mission.Par conséquent, Hachem a donné en cadeau à leur descendance le fait qu’elle sera le peuple qui représentera D.ieu sur terre.
    Ce peuple a donc pour finalité de faire connaître D.ieu à l’humanité toute entière, d’être Sa manifestation sur terre par son éternité miraculeuse, et de dévoiler, par l’application des mitsvot et l’étude de la Torah, qui est le véritable D.ieu sur Terre, où se trouve la vérité.

    En deux mots, nous vivons dans un monde de mensonge.
    Beaucoup d’êtres humains recherchent le sens de ce monde, la vérité, or, le seul peuple qui la possède est le peuple juif.
    À lui de la pratiquer et de la propager dans le monde entier.

    La deuxième étape n’est pas encore actuelle car il faut d’abord que tout le peuple juif lui-même la pratique et la réalise.
    Ensuite seulement, par ricochet, l’humanité toute entière la connaîtra, ce qui ne saurait tarder avec la venue du Machia’h.

    Néanmoins, être juif signifie être un représentant de la vérité sur Terre.
    Sans peuple juif, il n’y aurait plus de vérité sur Terre et plus de monde, car un monde sans vérité ne mérite pas d’exister.

Je n’aurai hélas pas le temps de consulter le livre que vous m’avez suggéré de lire ; désolé mais je suis extrêmement pris.

Chabbat Chalom

Au revoir,
Rav Ron Chaya

Agav

Référence Leava : 83237
Date de création : 2018-08-19 20:41:15