Un soldat a sauté sur une grenade pour sauver tout le groupe. Acte héroïque ou acte suicidaire ?

 

Chalom,

  1. En pleine guerre ‘has vé-Chalom, avons-nous le droit de se sacrifier pour sauver un frère d’arme ?
  2. Ou pour sauver plusieurs frère de l’unité ?
  3. Récupérer un blesser par terre en sachant que nous risqueront gravement notre vie ?

Je compare ces question a une histoire ou un soldat a sauté sur une grenade pour sauver tout le groupe.
Est-ce considéré comme acte héroïque selon la Torah, et non des actes suicidaires ?

Merci

Réponse du Rav Ron Chaya : 

Chalom,

Ta question est très importante.

En effet, dans la vie, il arrive qu’on se retrouve face à de telles situations où si on se trompe, on est assassin soit par rapport à son prochain pour non-assistance à personne en danger, soit vis-à-vis de notre propre personne si on n’avait pas le droit de mourir pour sauver la vie de l’autre.

Tout d’abord, je vais donner trois réponses brèves que je reprendrai en expliquant plus profondément leurs sources au niveau de la Halakha.

  1. On n’a pas le droit de se sacrifier pour sauver un frère d’arme.
    Autrement dit, il nous est interdit de nous mettre en danger pour sauver la vie de notre prochain s’il est certain que par cela nous perdrons notre propre vie.
  2. S’il faut choisir entre sa propre vie et celle de plusieurs personnes, il y a une divergence d’opinions chez les décisionnaires.
    Certains affirment qu’on a le droit (et non l’obligation) de sacrifier notre vie pour sauver les leur, tandis que d’autres écrivent que cela est interdit.
    Cependant, tous s’accordent à dire que cela est permis si nous faisons partie des personnes en danger et que toutes, nous inclus, mourront s’il n’y a pas l’une d’entre elles qui sacrifie sa vie pour sauver celle des autres.
  3. Si pour sauver son prochain de la mort, on met sa vie en péril, mais qu’il n’est pas certain qu’on mourra, tout dépend de l’ampleur du risque en question.S’il y a plus de chances de mourir, ou même s’il y a autant de chances de mourir que de survivre, il est interdit de prendre ce risque pour sauver son prochain.
    Si quelqu’un agit ainsi malgré tout, les décisionnaires le qualifient de ‘Hassid Choté, c’est-à-dire un individu pieux et sot.
    Autrement dit, il s’imagine faire un acte de piété mais en réalité, ce qu’il fait est une sottise (indépendamment du fait qu’il aura le statut d’assassin de sa propre personne).En revanche, si les chances de mourir sont petites, il est obligatoire de prendre ce risque afin de sauver la vie de son prochain.Si les chances de mourir se situent entre un petit risque et des chances égales de vie ou de mort, cela fait également l’objet d’une divergence d’opinions.
    Cela dit, même les décisionnaires affirmant qu’on n’est pas obligé de risquer sa vie dans ce dernier cas s’accordent à dire qu’il y a une mesure de piété d’agir ainsi.

    Enfin, s’il s’agit d’un cas où il n’est pas clair que l’autre va mourir si on ne le sauve pas, c’est-à-dire qu’il est simplement en danger, il n’est pas obligatoire de risquer sa vie pour le sauver car dans ce cas, les deux personnes se retrouvent en situation de risque égal.
    Par conséquent, il n’y a aucune raison de se mettre en danger pour sauver son prochain d’une situation qui ne sera pas pire que la nôtre une fois que nous nous serons mis en danger pour le sauver.

Voici maintenant l’explication des principes régissant ces lois.

Il existe deux Mitsvot pouvant être en situation contradictoire :

  • D’une part nous avons la Mitsva de « Lo Taamod Al Dam Réékha» (Vayikra, chapitre 19, verset 16), ne reste pas indifférent au sang de ton prochain, c’est-à-dire ce qu’on appelle communément l’interdiction de non-assistance à personne en danger,
  • Et d’autre part nous avons la Mitsva de « VaHaï Bahem» (Vayikra, chapitre 18, verset 5), signifiant qu’il faut vivre dans les Mitsvot et non mourir pour elles.

Autrement dit, si  une personne menace de nous tuer si on ne commet pas un interdit, on doit fauter plutôt que de se laisser tuer, sauf pour les 3 interdictions suivantes :

  • L’idolâtrie,
  • Le meurtre
  • Et avoir des contacts physiques avec une femme, depuis la bise jusqu’à plus grave (cela ne concerne pas notre mère et notre grand-mère, nos descendantes et notre femme lorsqu’elle n’est pas Nida, c’est-à-dire après avoir suivi le processus aboutissant au Mikvé).

Donc dans ce type de cas, l’obligation de secourir une personne en danger se heurte à la Mitsva de vivre, même en transgressant un péché.

Dans le Talmud (traité Baba Métsia page 62a), Rabbi Akiva tranche en apprenant du verset « Vé’haï A’hikha Imakh » (Vayikra, chapitre 25, verset 36), ton frère vivra avec toi, que nous avons priorité sur lui (car il n’est pas écrit « tu vivras avec lui » mais le contraire ; or, celui qui accompagne une personne est toujours accessoire à cette dernière).

Ainsi tranchent également le ‘Hazon Ich Zatsal (Yoré Déa, chapitre 69, alinéa 2) et le Rav Moché Feinstein Zatsal (Igrot Moché, Yoré Déa, tome 2, chapitre 174, alinéa 4).
Ce dernier cite aussi l’argument souvent mentionné dans le Talmud (Pessa’him page 25b, Yoma page 82b, Sanhedrin 74a) : « Car qui dit que son sang est plus rouge que le tien ? ».
Autrement dit, en quoi sa vie vaut-elle plus que la tienne ?
(Et si on rétorque :
« Qui dit que la mienne vaut plus que la sienne ? »
La réponse est que dans ce cas de doute, on reste passif car si on est actif pour sauver son prochain, on commet peut-être un interdit de se tuer.
En revanche, lorsqu’on est passif et qu’on aurait dû le sauver, on est moins coupable car on n’a fait aucun acte, on aura donc fauté en restant passif, ce qui est préférable d’après la Torah).

Concernant la priorité entre notre vie et celle de plusieurs personnes :

  • Le Rav Moché Feinstein Zatsal (Igrot Moché, Yoré Déa, tome 2, chapitre 174, fin de l’alinéa 4) tranche en ramenant l’histoire citée dans le Talmud (Rachi dans Taanit page 18 et Baba Batra page 10) concernant Papus et Lulinus.Ces derniers étaient deux frères qui ont menti en prétendant qu’ils avaient tué la fille du roi.
    Ils ont été exécutés après leur aveu alors qu’ils étaient innocents, mais leur sacrifice a permis de sauver le peuple d’Israël.
    En effet, si personne ne se dénonçait, le roi aurait tué une multitude de personnes.
    Les concernant, il est écrit qu’aucune créature ne peut rester à proximité d’eux au Olam Haba tellement leur niveau est élevé.
  • Néanmoins, le Chout Yad Eliahou, (chapitre 43) écrit qu’il est interdit à un homme de sacrifier sa vie même pour sauver celles de plusieurs personnes.Pour contrer la preuve de Papus et Lulinus ramenée par le Rav Moché Feinstein Zatsal , le Chout Yad Eliahou affirme que ce cas est différent car les deux frères auraient été tués même s’ils ne s’étaient pas dénoncés, car de toute façon, le roi aurait tué tout le monde.Donc dans ce cas, mieux vaut se sacrifier pour les autres car on sera mis à mort quoi qu’il arrive.
    Mais ici, il n’y a pas de preuve stipulant que s’il y a le choix entre sauver sa propre vie et celles des autres, ces dernières ont la priorité sur la nôtre simplement parce qu’il y en a plus.Par conséquent, il s’agit d’une divergence d’opinions chez les décisionnaires pour savoir si on a le droit d’agir ainsi ou pas.

Tout ceci ne concerne que les cas où le choix est de sacrifier sa vie de façon certaine pour sauver celle d’une autre personne ou de plusieurs personnes d’une mort certaine.
Cependant, si chez nous le danger de mort n’est pas certain si on décide de sauver son prochain, c’est-à-dire s’il y a simplement un risque à cela, il existe plusieurs sources dans les écrits rabbiniques et dans le Talmud paraissant contradictoires :

  • Le Talmud de Jérusalem (traité Teroumot, fin du chapitre 8) rapporte un cas où Rav Assi se trouvait dans une situation de danger pour sa vie.Rabbi Chimon a dit :
    « Je vais tuer ceux qui menacent sa vie ou je serai tué, mais dans tous les cas, je pars pour le sauver ».On apprend de cela qu’il y a une obligation de risquer sa vie pour sauver celle de notre prochain, mais cela ne concerne qu’une situation où il n’ y a qu’un risque de perdre la vie et non une certitude.
  • D’un autre côté, la Guémara (traité Nida page 61a) raconte que des habitants du Galil ont été soupçonnés d’avoir assassiné une personne.Ils sont parties voir Rabbi Tarfone en lui demandant s’il pouvait les cacher pour échapper à la peine de mort.Rabbi Tarfone a réfléchi et s’est dit :
    « Si je ne les cache pas, ces personnes seront exécutées, mais si je les cache et qu’on les trouve, je risque moi-même d’être mis à mort pour avoir été le complice de personnes recherchées par le roi ».
    Il finalement décidé de refuser de les cacher car en agissant ainsi, il aurait mis sa vie en danger.

La conclusion des décisionnaires tels que le Chévet Halévi (tome 8, chapitre 7) ainsi que le Tsits Eliezer (tome 13, chapitre 100, alinéas 4 et 5) est comme je l’ai expliqué au début de ma réponse.

Au revoir,
Rav Ron Chaya

Référence Leava : 69934
Date de création : 2016-03-31 18:04:05