Je suis le genre de personne qui s’écrase, ne dit jamais rien. Quel est le juste milieu entre l’estime de soi et l’humilité ?

Kavod HaRav,

J’ai écouté plusieurs cours où vous parlez du fait qu’il faut s’écraser plutôt que de réagir dans la majorité des situations.
Je ne comprends pas exactement l’équilibre qu’il faut avoir entre s’affirmer (avoir une certaine estime de soi) et s’écraser.

Par exemple, je suis le type de personne qui ne dit rien ni ne réagit (‘a l’extérieur) quand quelqu’un prend ma place, fait quelque chose de désobligeant, j’attends en ligne quand tout le monde me coupe, etc.
J’ai toujours pensé, et on m’a dit, que je ne devrais pas me laisser marcher dessus, je ne devrais pas être aussi gênée, etc.

  • Est-ce qu’il est bon d’agir comme je le fais, ou devrais-je dire quelque chose ?
  • Est-ce qu’il existe l’estime de soi dans les notions juives ?
  • Si Moché Rabbenou disait qu’il n’était rien, doit-on penser qu’on est quelqu’un, nous ?

Merci

 

Réponse du Rav Ron Chaya : 

Chalom,

Il existe une nuance entre deux choses qu’il faut très bien comprendre :

  • Moché Rabbénou écrit dans la Torah qu’il n’y a pas d’homme plus humble que lui sur Terre.
  • Moché Rabbénou n’est pas amnésique, il sait très bien qu’il est l’homme le plus grand qu’il y a sur Terre, le seul avec qui D. parle face à face, le seul qui a reçu la Torah d’Hachem et qui l’a transmise au peuple d’Israël. 

Nous sommes obligés de comprendre que le fait de reconnaître ses qualités n’est pas contraire à l’humilité, alors si c’est ainsi qu’est-ce que l’humilité ?
C’est de savoir que les qualités que nous avons ne nous ont été données que par Hachem, et que nous n’y sommes pour rien.
Dès lors, aucun honneur ni aucune louange ne nous reviennent.

  • Il est vrai que nous pouvons être très grands,
    mais toute la grandeur que nous avons acquise, nous ne l’avons pas acquise grâce à nous-mêmes ;
    donc les honneurs ne nous reviennent pas, ils reviennent à Hachem qui nous a accordé ces qualités.
  • Il n’est donc pas interdit de connaître ses qualités, mais pour rester humble, il faut bien comprendre que nous n’en sommes pas les créateurs. 

Donc l’estime de soi est une chose nécessaire, nous devons savoir que nous avons ces qualités ;
mais l’orgueil, c’est-à-dire penser que nous y sommes pour quelque chose, est à bannir totalement.

C’est pour cette raison que notre comportement doit être très humble, exactement comme vous le citez et même beaucoup plus que cela.

  • Le Talmud, traité Erouvin page 54, dit que pour accéder à la Torah,
    on doit être comme le seuil de la porte que tout le monde écrase.
  • Dans le traité Sota page 21, il est écrit que
    les paroles de Torah ne peuvent subsister que sur une personne qui fait d’elle-même comme si elle n’était pas, tel qu’il est écrit dans Iyov chapitre 28 :
    « La sagesse se trouve du néant ».
  • Traité ‘Houlin page 89 :
    « Mes enfants, Je vous aime, car même lorsque Je vous donne la grandeur, vous vous abaissez ;
    J’ai donné la grandeur à Avraham, il a dit qu’il était de la poussière et de la cendre ;
    j’ai donné la grandeur à Moché et Aharon, ils ont dit :

    « Que sommes-nous ? » ;
    J’ai donné la grandeur à David, il a dit qu’il était un vers et pas un homme ».

  • Traité Chabbat page 88 :
    « Ceux qui sont blessés par les autres et qui ne les blessent pas, ceux à qui on fait honte et qui ne répondent pas ; à leur propos il est dit que les amoureux de D. brilleront comme le soleil dans sa puissance ».
  • Traité Sota page 40 :
    Rabbi Abahou a dit :
    « Au début, je croyais que j’étais humble ; mais lorsque j’ai vu rabbi Aba de Akko qui n’avait pas la force de faire son discours à haute voix, et qu’il le disait à voix basse à une personne qui le répétait en criant au public, lorsque rabbi Aba de Akko lui a dit une chose et que cette personne a changé la teneur de ses paroles, rabbi Aba de Akko n’a pas réagi.
    J’ai alors compris que je n’étais pas aussi humble que je le croyais ».
  • Le ‘Hovot Halévavot (un des plus grands classiques du moussar) vante l’histoire d’un grand Tsadik qui dormait sur le pont d’un bateau ; lorsque quelqu’un a uriné sur lui, il n’a eu aucun ressentiment envers cette personne qui a fait cet acte honteux.
  • Un des plus grands rabbins du Talmud, Rabbi Yossé, dit (traité Chabbat page 118b) :
    « Jamais de ma vie je n’ai passé outre la parole de mes amis ;
    je sais que je ne suis pas un Cohen, mais lorsque mes amis me disent de monter avec les Cohanim pour bénir le peuple, j’y vais » ; or, la réaction de chaque personne serait de dire :
    « Laisse-moi tranquille, je ne suis pas Cohen ».
    Il « s’écrase » face à ses amis.
  • Hillel, qui était le président dirigeant du peuple juif il y a plus de 2 000 ans, était connu pour sa grande humilité ; un jour, il a vu un riche qui était ruiné et qui était habitué à déambuler sur un cheval avec un serviteur qui courait devant lui.
    Hillel lui a payé un cheval et, ne trouvant pas de serviteur pour courir devant le riche ruiné, a lui-même retroussé le bas de son habit et a couru devant lui quelques kilomètres !
  • D. n’a choisi que la montagne la plus petite et la plus insignifiante qui existe pour y donner la Torah au peuple d’Israël, le mont Sinaï ; et il est écrit dans traité Sota page 5 :
    « L’homme doit apprendre à se comporter comme D. car Hachem a refusé de donner la Torah sur les grandes montagnes et a fait demeurer Sa présence sur le mont Sinaï ».

Il existe encore beaucoup d’autres sources à cela, mais je pense que ces
quelques
références
suffiront.

Donc il est clair que la Torah prône beaucoup l’humilité, mais il est évident que les niveaux qu’elle vante sont extrêmement éloignés de notre entendement, néanmoins c’est le chemin qu’elle considère comme juste.
Hachem aime les humbles et hait les orgueilleux.

Attention, cela ne nous désengage pas de l’obligation de faire des remontrances à une personne qui s’est mal comportée envers nous ; la nuance est que nous ne devons pas le faire parce que nous avons du ressentiment mais parce qu’il y a une mitsva de corriger son prochain.
Donc on fera cette remontrance à cette personne de la même manière que si cette personne s’était mal comportée envers une autre personne que nous-mêmes.

Cela exige bien sûr des qualités humaines de très haut niveau.

A voir : Geppeto et Pinochio (l’humilité)

Au revoir,
Rav Ron Chaya

Agav 

 

Référence Leava : 17749
Date de création : 2012-04-18 19:04:16