Bonjour Rav Chaya,
J’ai lu récemment deux commentaires au sujet – has veshalom – de l’épreuve.
Shlomo hamelekh écrit dans les Proverbes qu’il ne demande à Hakadosh Barouk Hou que le strict minimum pour vivre.
Mais s’il avait à choisir entre l’épreuve de la richesse et celle de la pauvreté, il choisirait d’être pauvre.
Sous-entendu : cette épreuve est moins destructive dans son lien à Hashem.
Et j’ai lu un commentaire dans la Halakha Yomit qui allait également dans ce sens.
Or je m’étonne beaucoup de ce point de vue.
Après notre mariage, mon épouse (alors enceinte de quelques mois) et moi-même nous nous sommes retrouvés dans une situation de précarité telle que nous devions emprunté auprès de notre famille pour pouvoir payer le loyer, j’ai été interdit bancaire et fiché à la banque de France. Je ne pouvais même plus aller chez le coiffeur. Je vous assure, qu’à ce moment-là, j’aurais donné n’importe quoi pour être éprouvé par la richesse ! La honte, l’humiliation (certainement des kaparots de nos fautes) que nous devions subir au quotidien étaient invivables. Sans compter, les problèmes de shalom bayit ! Baroukh Hashem, depuis notre situation s’est nettement améliorée.
Mais au-delà de mon petit cas personnel, c’est un évènement récent qui m’a amené à méditer encore plus dans ce sens.
Tous les matins, il y a un nécessiteux à l’entrée de la synagogue. Il n’a pas 50 centimes pour boire un café. Il souffre en plus d’un problème pulmonaire et doit être aidé d’une pompe à oxygène portable pour bien respirer sinon il est tout le temps à bout de souffle. Il peut louer cet appareil quand il récupère assez d’argent dans la journée, sinon il fait sans… et avec les douleurs supplémentaires que cela lui occasionne. Cet homme vit dans une chambre d’hôtel. S’il n’a pas de quoi la payer, il est mis dehors.
Pendant 3 ou 4 jours je ne l’ai plus vu. Et puis, je l’ai recroisé à nouveau mais il boitait. Ce problème l’a immobilisé, impossible donc pour lui de pouvoir faire l’aumône. Ca été la double peine. Cette souffrance physique l’a empêché de trouver de moyen de subvenir à quoi que ce soit. Et c’est quand il a pu à peine se remettre de la douleur qu’il s’est à nouveau déplacé.
Or, si nous prenions le même homme souffrant des mêmes douleurs physiques mais riche, il me semble tout de même que sa situation serait incomparablement moins pénible.
- Le riche n’a pas à se soucier de savoir comment il va finir la semaine, pas le mois : la semaine !
- Le riche peut se reposer dans une maison dont il est le propriétaire et à la température idéale
- Le riche peut consulter les meilleurs spécialistes – et même si Hashem ne donne pas l’ordre que ce riche guérisse – au moins il n’a pas à se demander quel médicament il peut se permettre d’acheter à la pharmacie
- Le riche peut se déplacer en voiture, se payer des services d’aide à la personne, il peut alléger ses souffrances – au moins physiques
- Et le riche ne vit pas nécessairement dans le tourment d’avoir tout un tas de femmes illégitimes qui lui extorquent sa fortune telles des vipères…
Au contraire, le riche peut donner plus à la tsedaka, réaliser encore plus de mitzvot (et les embellir). Il peut s’acheter les meilleures paires de téfilines, faire réaliser la mitzva d’écrire un sefer Torah par les plus grands soferim, il peut faire construire des mikvaot, soutenir financièrement des bakhourim, aider des yeshivot, il peut employer les plus grands spécialistes qui s’occuperont de gérer pour lui sa fortune et il aura alors le temps d’étudier dans la tranquillité d’esprit la plus totale. Il peut faire honneur au Shabbat et aux fêtes sans compter les dépenses. Et il n’aura pas l’épreuve de refuser à un pauvre quand celui-ci lui tendra la main.
L’argument que j’ai lu en « faveur » du pauvre est que, de par sa situation, il fait preuve d’une humilité permanente et a constamment à l’esprit d’être dépendant d’Hashem. Dans le « yehi ratzon » qu’on lit à la fin des Tehilim, on demande bien à Hashem que nous ne dépendions pas des hommes. Or, de qui dépend le pauvre si ce n’est précisément des hommes (même si ceux-ci obéissent à la volonté d’Hashem) ?
Pourquoi nos Sages estiment que le riche, lui, devrait nécessairement se détacher d’Hashem et, à la fin par orgueil, juger qu’il est le seul responsable de sa fortune ? N’existe-t-il pas un juif pieux et fortuné ?
Pourquoi nos Sages ne prennent pas en compte que, chez un homme normal, la pauvreté peut au contraire le détruire et le détacher d’Hashem (nous ne sommes pas tous des tsadikim comme Hillel hazaken ou le ‘Hafets ‘Haïm, nous n’avons pas tous leur grandeur d’âme et leur bita’hon, comme eux d’être détachés de toute matérialité et comme eux de même remercier Hashem pour ces épreuves) ?
J’ai écouté le témoignage d’une femme juive qui vit encore avec sa mère. Elles n’ont pas mangé pendant 4 jours car elles n’avaient pas de quoi s’acheter une baguette de pain et avaient honte de demander de l’aide. Est-ce qu’on aurait eu l’audace de leur dire combien, de par leur situation, leur lien avec Hashem est incroyablement puissant ?
Il est entendu que nous ne demandons à notre Créateur que le strict minimum pour pouvoir le servir dignement. Mais de là à dire que l’épreuve du pauvre est préférable à celle du riche me dépasse un peu.
En somme, même si l’on juge réelle l’épreuve, je trouve qu’il y a une vision binaire de la pauvreté et de la richesse. La première, serait finalement une condition inouïe à consolider notre lien avec Hashem tandis que la seconde, nécessairement un puit sans fond infesté de scorpions.
Je ne parle pas ici du mérite de traverser telle ou telle épreuve dans telle situation. Je me réfère bien à ce que Shlomo hamelekh écrit, à savoir qu’il vaut mieux l’épreuve de la pauvreté que celle de la richesse.
Pourriez-vous, s’il vous plait, m’éclairer en réponse privée et me dire où je me trompe (puisque les Sages ont statué l’inverse) ?
Merci beaucoup par avance pour votre opinion qui m’est d’une grande importance.
Kol touv.
Réponse du Rav Ron Chaya :
Chalom,
Le problème de ton analyse est que tu juges selon des critères majoritairement terrestres et physiques.
Or, ‘Hazal tiennent compte de l’ensemble des critères relatifs à l’être humain, c’est-à-dire également sa Avodat Hachem et son Olam Haba.
- Personne ne dit que l’épreuve de la pauvreté est une chose facile,
au contraire c’est une épreuve très difficile,
- et tes exemples en sont des preuves touchantes et irréfutables.
Cela dit, comme tu l’as toi-même compris, l’épreuve de la richesse consiste à se battre contre l’orgueil et à affaiblir son lien avec Hachem.
- ‘Hazal ont compris que cette épreuve est bien plus difficile que celle de la pauvreté ;
- elle est aussi plus subtile et moins évidente à nos yeux,
- ce qui la rend d’autant plus dangereuse.
Il existe bien sûr des personnes très riches qui demeurent néanmoins humbles, tout en accomplissant de nombreuses Mitsvot avec leur argent.
- Toutefois, cela n’occulte pas le fait que cette épreuve n’en reste pas moins délicate et ardue, car à partir du moment où on possède beaucoup d’argent, le pouvoir et les honneurs l’accompagnent.
- Il est donc presque impossible de ne pas faiblir un peu dans son humilité.
- Nous sommes des êtres humains limités physiquement, donc comment pourrions-nous être en mesure de quantifier l’importance de cette diminution de l’humilité ?
- A tes yeux, elle n’est pas si élevée vis-à-vis des souffrances qu’endure une personne démunie.
- Mais aux yeux de ‘Hazal et du roi Salomon, elle est bien plus significative car elle touche l’âme de la personne, c’est-à-dire son Olam Haba, donc sa vraie réalité ;
- or, celui qui n’a pas de quoi manger ne subit qu’une souffrance physique temporelle qui demeure dans le monde du fini, tandis que le manque d’humilité a des répercussions dans le monde de l’infini.
Les livres de Moussar s’étendent longuement sur ce sujet en expliquant que l’humilité est la source de toutes les bonnes Midot, contrairement à l’orgueil.
Il est clair qu’un riche a la possibilité de franchir toutes ces épreuves avec succès en restant un vrai Tsadik.
Mais il est aussi clair que toutes les épreuves qu’il aura à surmonter seront bien plus dures que celles de la pauvreté.
Quelles sont les épreuves que doit surmonter un pauvre ?
- La souffrance de la pauvreté,
- la honte
- Etc.
- Je ne dis pas que tout cela n’est pas extrêmement pénible,
nous parlons bien ici de vraies difficultés.
- Je mets l’accent sur le fait que l’épreuve est facile à déceler, car il est clair que lorsqu’une personne pauvre doit faire face à la souffrance de la faim et de la honte, il n’y a pas de piège.
- De plus, il est évident que ces souffrances purifient beaucoup et lui octroient une grande Kapara,
- c’est-à-dire une grande expiation des péchés.
Le riche ne subit pas toutes ces souffrances et doit se mesurer à un piège presque invisible dont les conséquences touchent son éternité.
Dans cette mesure, son épreuve est bien plus périlleuse.
Au revoir,
Rav Ron Chaya
Or, ‘Hazal tiennent compte de l’ensemble des critères relatifs à l’être humain, c’est-à-dire également sa Avodat Hachem et son Olam Haba.
au contraire c’est une épreuve très difficile,
- et tes exemples en sont des preuves touchantes et irréfutables.
- elle est aussi plus subtile et moins évidente à nos yeux,
- ce qui la rend d’autant plus dangereuse.
- Il est donc presque impossible de ne pas faiblir un peu dans son humilité.
- A tes yeux, elle n’est pas si élevée vis-à-vis des souffrances qu’endure une personne démunie.
- Mais aux yeux de ‘Hazal et du roi Salomon, elle est bien plus significative car elle touche l’âme de la personne, c’est-à-dire son Olam Haba, donc sa vraie réalité ;
- or, celui qui n’a pas de quoi manger ne subit qu’une souffrance physique temporelle qui demeure dans le monde du fini, tandis que le manque d’humilité a des répercussions dans le monde de l’infini.
Mais il est aussi clair que toutes les épreuves qu’il aura à surmonter seront bien plus dures que celles de la pauvreté.
- Je ne dis pas que tout cela n’est pas extrêmement pénible,
nous parlons bien ici de vraies difficultés. - Je mets l’accent sur le fait que l’épreuve est facile à déceler, car il est clair que lorsqu’une personne pauvre doit faire face à la souffrance de la faim et de la honte, il n’y a pas de piège.
- c’est-à-dire une grande expiation des péchés.
Rav Ron Chaya
Référence Leava : 66051
Date de création : 2015-05-18 12:15:57