L’énigme de la Pkeïla…

Chavoua Tov Rav,
Dans la communauté de Marseille, il y a en ce moment une question qui n’arrive pas à être résolue et qui anime les repas de Chabbat !
Nous nous tournons respectueusement vers vous pour solliciter votre aide à la résolution de cette énigme culinaire qui satisfasse à la fois les mystiques et les rationnels.

L’énigme commence comme cela :

  • La Pkeila, plat du Chabbat fait d’épinard et haricots blancs, cher au tunisien semble trouver son origine dans nos textes et sa description nous plonge dans une réelle perplexité historique :
    1. Dans le traité Pessa’him קיד 114b, il est rapporté que Rava avait pour coutume de manger deux plats cuisinés distincts le soir de Pessa’h.
      • Un plat à base de riz (arouza dans le langage de la Guemara)
      • et un plat à base d’épinards (Silka dans le langage de la Guemara).
    2. Bonne pour le coeur, les yeux et les intestins
      • Dans le traité Brakhotes לט 39a, Rav ‘Hisda enseigne que le plat cuisiné à base d’épinards est bon pour le cœur et les yeux et à fortiori pour les intestins.
      • Abayé ajoute qu’on les faisait bien cuire et qu’on coupait les épinards en petits morceaux.
      • Rachi sur place explique « véavid to’kh, to’kh » qu’on faisait frire et fondre les épinards !
    3. Bon d’en avoir sur sa table à Roch haChana.
      • Dans le Talmud Yeroushalmi, traité Kilaïm (1,27 première colonne loi 1), il est dit au nom de Rabbi Yona qu’il est bon de consommer des haricots blancs pour le cœur et les intestins.
        • On notera que l’on prête donc aux haricots blancs les mêmes vertus qu’aux épinards dans le traité Brakhot, raison pour laquelle le Rimbats (Rabbi Itshak ben Malkitsedek de Simpante au sud de l’Italie et contemporain de Rabbénou Tam), le Tossfote Yom Tov sur le traité Kilaïm ou Rabbénou Pra’hyé dans Chitate HaKadmonim sur le traité Chabbat צ 90b rapportent qu’il était de coutume de cuisiner les plats d’épinards avec ces mêmes haricots.
        • Et ceci car dans le traité Horayote 12a il est rapporté par Abayé qu’il sera bon d’avoir pour signe sur sa table le soir de Rosh haShana de consommer entre autre silka (épinards) et roubia (haricots) etc…
          • C’est la raison pour laquelle chez les juifs d’origines tunisiennes, djerbiennes et tripolitaines, le soir de Rosh haChana plus que les autres soirs, on consommera le plat appelé tavshil shel téradine ou silka dans le Talmud appelé plus communément pkeila.
    4. Un des signes du délice de Chabbat
      • Dans le traité Chabbat 118b קיח il est rapporté au nom de Rav qu’un des signes du oneg Chabbat (délice de Shabbat) est le plat cuisiné à base d’épinards, Rachi rapporte sur place qu’il s’agit du plat principal dans son commentaire de tavshil téradine : hashouv hou !
    5. Bonne santé des juifs en Babylonie
      1. Dans le traité Ketoubote, au nom de Rabbi Hanina, il est rapporté que la consommation d’épinards (les plats d’épinards consommés le Shabbat et jours de fêtes) fût une des raisons de la bonne santé des juifs en Babylonie.
  • LE SEUL PROBLÈME dans toutes ces explications dont les sources sont incontestables et qui sont antérieures à l’ère chrétienne, c’est que les haricots n’ont été découverts qu’en 1492 de l’ère chrétienne par Christophe Colomb et qu’ils ont été diffusés en Europe et en Orient par l’église catholique qu’à partir du milieu du 16ème siècle!
    • Face à ce fait historique, il y a nos textes qui sont un pilier de notre existence et dont nous n’avons aucune raison de douter.
    • La contradiction est donc patente sauf à trouver une explication qui réconcilie les rationnels et les mystiques !
      • Le mot rouvia doit-il se traduire par haricot ou s’agit-il d’une autre légumineuse qui existait à l’époque de nos Sages ?
      • S’il s’agit de haricot comme explique-t-on de la contradiction historique ???

Vous comprendrez donc que l’énigme dépasse largement le sujet culinaire et pose la question plus importante de la mise en concordance historique de nos textes.
L’intérêt est non seulement pour nous mais aussi par tous les déviants juifs et non-juifs qui tentent avec des arguties dérisoires de nier notre histoire fondatrice.

En espérant que cette question retienne votre attention et nous aide à résoudre ce dilemme historique !

Chavoua Tov

 

Réponse du Rav Ron Chaya : 

Chalom,

Voici les réponses à vos questions :

  • D’abord à propos des épinards :

    • Il ne faut pas confondre térèd et silka
      • (appelé aussi sélèk (qu’il ne faut aussi ne pas confondre avec le sélèk en hébreu moderne qui est la betterave).
    • Le térèd, ce sont les épinards.
    • Par contre le sélèk ou silka est ce qu’on appelle en français des blettes
      (d’ailleurs, nous faisons très attention chez nous à Roch Hachana de ne pas manger des épinards à la place des blettes) ;
      • ce sont deux plantes différentes.

  • À propos des haricots :

    • Je pense que la réponse est très simple :
      • Les haricots en hébreu sont appelés chou’ït,
        et comme vous le dites, ils n’ont été diffusés dans le monde européen qu’au 16ème siècle.
      • Par contre le loubia (ou rouvia ) dont parle la halakha (que nous mangeons d’ailleurs également le soir de Roch Hachana) n’a rien à voir avec les haricots ;
        • il s’agit certes d’une plante qui ressemble aux haricots dans la mesure où il s’agit aussi de graines mangeables qu’on trouve dans des cosses longues comme celles des haricots, mais elle est tout à fait différente.
          • A ce propos, nous faisons des efforts particuliers chaque années pour obtenir des loubia fraîches qu’on trouve au marché et qui ne sont pas du tout des haricots.
    • C’est donc de cela dont parle nos sources.

  • Une anecdote :

    • Mes grands-parents paternels sont du Liban et ma grand-mère appelait ces loubia « loubia m’salat» qui signifie « qui fait passer le temps » car il faut beaucoup de temps pour les préparer (il faut les décortiquer de leurs gousses, et c’est cela qui prend beaucoup de temps), et elle ne disait pas cela à propos des haricots.
      • D’ailleurs, s’il y a à Marseille des libanais qui ont vécu au Liban, ils vous le confirmeront.

‘Hodèch Tov Oumévorakh

Au revoir,
Rav Ron Chaya

 

Référence Leava : 87448
Date de création : 2019-09-02 13:00:20